La trame principale du livre de Dominique Fortier se déroule pendant la guerre de Sécession, mais pas seulement, car...
« Puisque nul traité de paix n'est venu marquer la fin de cette étrange guerre fratricide, comment prétendez-vous savoir qu'elle est bien finie ? »
C'est autour de cette interrogation que s'articule tout le roman (basé sur de multiples faits historiques) qui passe d'un siècle à l'autre afin d'interpeler le lecteur sur la permanence de ce sentiment d'illégitimité qui continue trop souvent de hanter les Noirs.
« Est-ce l'an de grâce 1864 ou l'année 2011 de notre ère ? Qui saurait le dire ? »
« Il me semble que je suis ici en visite, comme si on me tolérait mais que je n'étais pas chez moi » dit Eleanor, jeune femme blanche qui vient d'emménager chez sa belle-mère. « Eve ne répondit pas. Elle n'avait jamais eu d'autre impression que celle-là. » (Eve, on l'aura compris, est noire)
L'avantage des lectures thématiques est de pouvoir poser différents regards sur un même événement. Ainsi, l'abolition de l'esclavage dont il est question dans le superbe film de Steven Spielberg :
est ici vue d'une toute autre manière :
« Des hommes à Philadelphie s'étaient rassemblés pour déclarer leur indépendance, ils avaient couché sur le papier ces mots disant que les hommes avaient été créés égaux et que chacun avait le droit de chercher le bonheur, et puis ils étaient rentrés chez eux, où il faisait bon auprès de leurs femmes et de leurs enfants. Les mots étaient restés là. »
« Si tu veux mon opinion, ce sera plus dur pour les Blancs que pour nous. Nous, on se débrouille toujours, d'une manière ou d'une autre. Mais qu'est-ce qu'ils vont devenir, eux ? On est tous comme les fondations de leurs maisons, pour ainsi dire. Ils ont construit leurs vies, absolument tout, sur notre dos. Tout le pays s'est construit avec notre sueur et notre sang. »
Alors que June ici dit à son fils épris de liberté et qui souhaite rejoindre les combats :
« La liberté, mon fils, ce n'est peut-être pas aussi important qu'on le dit. Regarde ce que les Blancs, qui l'ont depuis toujours, ont trouvé à en faire. »
Mais, il y a encore plus que tout cela dans le livre de Dominique Fortier, il y a cette manière dont elle parvient à parler de la guerre avec justesse et poésie. Oui, poésie. Ces deux termes ne semblent pourtant pas être faits pour s'entendre, mais l'auteure parvient pourtant à mettre l'une au service de l'autre pour livrer son message.
Cette poésie transparaît, entre autre mais pas uniquement, dans les références aux courtepointes de Gee's Bend qui ont, en partie, inspiré Dominique Fortier durant son travail d'écriture.
Et c'est ainsi que la guerre de Sécession sous la plume de cette auteure de talent prend un tout autre visage :
« Ce n'était pas un pays en guerre, ni même deux pays dont l'un cherchait à se détacher de l'autre : c'étaient trente pays tenant ensemble par des liens plus ou moins lâches, qui tantôt se défaisaient et tantôt se renouaient, comme si les pièces d'une courtepointe tout à coup prenaient vie et s'avisaient de changer de place et de couleur, arrachant les coutures au passage, traînant derrière elles des bouts de fils inutiles. »
Mais, au milieu de toutes ces guerres, de tous ces combats, il est une chose qui perdure et ne disparaîtra jamais...
« Tu as vu ? demanda le plus grand. Il est arrivé aujourd'hui.
Le plus petit avait vu, mais semblait trop saisi pour répondre. Visage levé vers l'ange, il semblait attendre quelque prodige. Il porta machinalement la main à sa poitrine.
Ils vont le fixer demain, poursuivit l'autre d'un ton important. C'est pour ça qu'ils ont mis les cordes, en attendant, pour ne pas qu'il tombe pendant la nuit.
Le petit se retourna vers lui avec un air qui ressemblait à de la pitié, et souffla comme pour lui-même : Mais non, s'ils ont mis les cordes, c'est pour ne pas qu'il s'envole. »
Cette lecture correspond à la colonne OBJET de ma première ligne pour ma participation au :
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