mardi 15 août 2017

Lectures croisées : quand les choses dérapent

Généralement, en été, j'ai des lectures légères du type Rainbow Rowell ou Katherine Pancol. Il semble qu'à ce niveau-là (comme à beaucoup d'autres déjà) l'été 2017 fasse exception puisque j'ai lu sur... le terrorisme et le nazisme ! Précisons toutefois que j'ai effectué ces lectures croisées en excellente compagnie puisque c'est à travers les mots d'une part de :  

Tahar Ben Jelloun


et, d'autre part de :

Jacques Prévert



que je l'ai fait.

La première lecture n'était pas prévue et m'a été offerte par Enna. Elle constitue d'ailleurs le premier titre, colonne FAMILLE, de ma troisième ligne du



Mais avant cela, il me fallait terminer ma deuxième ligne, colonne PERSONNE CÉLÈBRE, avec un titre choisi comme lecture commune avec Aude/Blondie

Voici comment je me suis donc retrouvée à lire coup sur coup :


 et 

Les liens qui se sont établis entre ces deux textes m'ont poussée à les présenter conjointement en tant que lectures croisées. 
Des thèmes récurrents sont en effet apparus.

Les blessures du passé

Tahar Ben Jelloun commence par séparer le terrorisme politique de toute connotation religieuse afin de revenir aux sources du phénomène : défendre son territoire contre l'envahisseur. 

À ce propos, il évoque les humiliations et haines ancestrales transmises de génération en génération, comme celle, historique, qui anime globalement juifs et musulmans.


En passant, il nous rappelle aussi que les résistants français durant la guerre étaient aussi considérés comme des terroristes. 

Quand la diplomatie demeure inefficace, il peut s'avérer nécessaire (et courageux) de prendre les armes. 

Jusqu'ici... tout va (presque) bien. Le terrorisme est une forme de guerre, absurde certes, mais avec des motifs que l'on peut expliquer.

Jacques Prévert, de son côté, à son époque, évoque la colonisation et la récupération politique pour justifier la violence.

Car sans les mouches, pas de chasse-mouches, sans chasse-mouches pas de Dey d'Alger, pas de consul... pas d'affront à venger...  



La colonisation demeure encore de nos jours la toile de fond pleine d'hostilité de nombreuses relations internationales.

Les difficultés du présent et l'absence d'avenir

Tahar Ben Jelloun parle ensuite du terreau fertile que sont les populations des pays en guerre.

Peu ou pas de perspectives, des difficultés quotidiennes, des situations déprimantes, un sentiment d'insignifiance.

Jacques Prévert évoque pour sa part les années trente, les temps de crise économique et sociale.

Les mêmes thèmes reviennent. 

Vous auriez vu... les familles de huit enfants « qui crèchent à huit dans une chambre » et si vous aviez été sages vous auriez eu la chance et le plaisir de voir le père qui se lève parce qu'il a sa crise, la mère qui meurt doucement sur son dernier enfant, le reste de la famille qui s'enfuit en courant et qui pour échapper à la misère tente de se frayer un chemin dans le sang.

Encore et encore.

Le soleil brille pour tout le monde, il ne brille pas dans les prisons, il ne brille pas pour...

ceux qui passent leurs vacances dans les usines...

ceux qui fabriquent dans les caves les stylos avec lesquels d'autres écriront en plein air que tout va pour le mieux...

ceux qui ont le pain quotidien relativement hebdomadaire...

ceux qui croupissent...

ceux qui voyagent sous les roues...

ceux dont on prend les empreintes...

ceux qu'on fait sortir des rangs au hasard et qu'on fusille...

ceux qui vieillissent plus vite que les autres...



De quelle époque date cette image ?

La religion comme antidote pour les uns 
et outil de pouvoir pour les autres

Tahar Ben Jelloun en vient ensuite à sa religion, l'Islam, dont il rappelle la beauté et la grandeur, dont il redit les préceptes humanistes et pacifiques. 

Il déplore ensuite les faiblesses qui en font un outil facile pour les personnes avides de pouvoir

*le fait, par exemple, que tout musulman s'en jugeant capable peut devenir imam, et qu'aucune autorité religieuse n'a à approuver ou désapprouver cela.

*l'existence de la « maison de l'Islam » au sein de laquelle la communauté prime sur chaque individu, base fondamentale du dogme islamique, à l'origine de tant d'incompréhensions.

Prévert parle lui aussi de religion, d'une autre religion, de guerre aussi, d'une autre guerre, et ses mots résonnent étrangement.

Ceux qui donnent des canons aux enfants
Ceux qui donnent des enfants aux canons

***

Attention ! L'ennemi n'est pas en face !
Il est derrière toi.
Il parle la même langue que toi !
C'est lui qui te pousse à la mort.

***

Les Commandements de Dieu
Garde à vous
repos éternel
garde à vous
garde à vous
l'arme à la bretelle
en avant marche et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté
section halte
couchez-vous... aplatissez-vous...humiliez-vous...
enfouissez-vous...
rampez
garde à vous garde à vous
contre tous ceux qui osent lever la tête
feu à volonté

L'espoir

Tahar Ben Jelloun consacre la fin de son livre à la répétition des solutions qui existent et qu'il nous faut continuer de mettre en place encore et toujours avec la même volonté de paix : éducation, culture, ouverture d'esprit de part et d'autre, et humanité. 

Jacques Prévert, fidèle à lui-même, appelle à la solidarité et fait parler les hirondelles.

... depuis le temps qu'il attend que ça change
il commence à en avoir assez
soudain il se lève
soudain il s'en va
à la recherche des autres
des autres
des autres qui ne mangent pas parce qu'ils n'ont rien à manger
des autres tellement fatigués
des autres assis sur les trottoirs
et qui attendent
qui attendent que ça change et qui en ont assez
et qui s'en vont à la recherche des autres
tous les autres
tous les autres tellement fatigués
fatigués d'attendre
fatigués...
Regardez dit l'hirondelle à ses petits
ils sont des milliers
et les petits passent la tête hors du nid
et regardent les hommes marcher
S'ils restent bien unis ensemble
ils mangeront
dit l'hirondelle
mais s'ils se séparent ils crèveront
Restez ensemble hommes pauvres
restez unis
crient les petits de l'hirondelle
restez ensemble hommes pauvres
restez unis
crient les petits
quelques hommes les entendent
saluent du poing
et sourient.


Après les mots de ces grands hommes, je ne sais que dire si ce n'est de renouveler ici aujourd'hui ma foi en l'être humain et d'écrire noir sur blanc que nous ne sommes pas dupes, que nous savons tout à fait d'où vient le vent mauvais et qu'il nous faut continuer d'opposer aux forces politiques et économiques de tous pays, quels que soient les masques dont elles se couvrent le visage, des mots et des images d'espoir, une culture universelle qui refuse de se retourner trop longtemps sur tant d'horreurs passées et pose plutôt son regard sur un avenir au sein duquel chacun peut et doit trouver sa place.